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PH. MAUDUIT : POUR RÉUSSIR SUR LE TOUR DE BRETAGNE ? IL FAUT DU CARACTÈRE

Les passionnés de cyclisme le connaissent depuis de nombreuses années, le grand public l’a découvert lors du dernier Tour de France en tant que stratège de Thibault Pinot. Sa parole est toujours très écoutée et il est considéré comme l’un des plus doués de sa génération, Philippe Mauduit, directeur sportif de la Groupama-FDJ a accepté de répondre à nos questions :

  • Philippe, vous qui êtes habitué à parcourir des milliers de kilomètres tout au long de l’année et à répondre à diverses sollicitations, comment vivez-vous ce confinement qui modifie profondément notre mode de vie ?
    C’est assez déstabilisant dans un premier temps car effectivement nous sommes habitués à beaucoup voyager et à savoir quand on va repartir. Aujourd’hui nous ne savons toujours pas quand nous repartirons, l’UCI a annoncé la reprise des courses le 1er juillet et le world tour le 1er aout mais tout cela reste flou, les regroupements de population par exemple ne pourront pas se faire avant le 15 juillet, que va t il donc se passer entre le 1er et le 15 ? Courses ou pas courses ? Et puis nous ne parlons là que de la France, comment cela va-t-il se passer dans les autres pays ? Quand serons-nous autorisés à y aller ? Les coureurs résidents à l’étranger pourront-ils venir courir en France ? Au delà du sport cela signifie aussi et surtout que tous nos points de repères familiaux changent. Nous sommes habitués à nous voir quelques jours puis séparés plusieurs jours et cela tout au long de l’année, sans interruption de rythme. Depuis 6 semaines, nous vivons constamment ensemble, même en période hivernale cela ne nous arrive jamais, il y a toujours quelques journées de réunions pour préparer les stages, puis les stages et la saison et tout s’enchaîne d’année en année. Comme beaucoup de gens j’ai beaucoup apprécié les premières semaines car je me suis posé vraiment, pour la première fois depuis 20 ans !!! J’ai fait ou terminé beaucoup de bricoles que je n’avais pas eu le temps de faire, mais depuis la semaine dernière, même si je reste très occupé… il me tarde de repartir…L’équipe, les courses, l’ambiance, les paysages qui défilent me manquent, j’attends la possibilité de voyager pour pouvoir partir en reco.
  • Encadrer et gérer des sportifs professionnels est une mission délicate en situation normale tant les caractères sont différents au sein d’une équipe, qu’en est-il depuis quelques semaines ?
    La distanciation complique les choses, j’aime bien appeler nos coureurs en visio. J’ai besoin de les voir pour savoir comment ils vont, malgré les évolutions technologiques cela n’est pas toujours possible et pourtant les expressions corporelles en disent beaucoup.
  • Conserver sa motivation et son potentiel physique pour un sportif professionnel est primordial, cette longue interruption en pleine saison est inédite, comment gérez-vous cette situation avec vos coureurs ?
    On peut clairement dire que les coureurs qui ont la chance de vivre dans un pays où il n’y a pas de confinement vivent globalement mieux cette période sans course. Pour les autres on se dit qu’on a bien fait de leur conseiller de se reposer 8 à 10 jours au début du confinement car 1 mois de home-trainer à raison d’une à deux, voire trois heures par jours c’est psychologiquement épuisant ! Je suis impressionné par leur abnégation et leur volonté face aux événements. On sait que le home-trainer n’est pas suffisant, il ne permet pas de travailler l’endurance ou la force de la même façon que sur la route par exemple, alors nous avons mis en place des séances de musculation en parallèle, certains ont même repris les footing dans un rayon d’un kilomètre autour de chez eux.
  • On connait l’importance de la grande boucle. Christian Prudhomme a récemment annoncé que le Tour de France aura lieu fin août. Je suppose que c’est un soulagement pour la planète vélo ?
    Oui dans un premier temps ca a été un véritable soulagement, on peut imaginer qu’au delà de la volonté d’ASO d’organiser il y a derrière une volonté politique qui a validé voir motivé cette décision. Et c’est un vrai soulagement pour toute l’économie du cycle. Pas seulement l’économie des équipes et de leurs sponsors principaux, mais aussi pour les équipementiers, leurs salariés, pour les hôteliers aussi, les restaurateurs et toute l’économie française dans sa globalité, si le Tour part ca veut dire que la vie repart. Nous avons malgré tout beaucoup d’interrogation, le Tour pourra t-il vraiment se faire ? Nous n’avons pas de recule sur ce type de pandémie. On voit clairement que même les experts avancent à pas de velours et se contredisent tout simplement parce qu’ils ne savent pas, ou pas encore, alors le Tour en septembre oui… mais cela semble encore très loin au regard du nombre de personnes qui contractent encore la maladie aujourd’hui, du nombre de décès encore important et de l’éventualité d’un retour de l’épidémie dans quelques mois.
  • En 2019, Groupama-FDJ a décidé d’avoir sa propre réserve avec son équipe continentale qui a été accueillie sur le Tour de Bretagne Cycliste 2019. Quelle est la plus-value à moyen terme d’avoir une structure de formation ?
    On prépare l’avenir de l’équipe Groupama Fdj avec la conti. Il y a un véritable échange avec nos jeunes pousses. Ils vivent tous à Besançon à proximité de notre pôle de performance, ils bénéficient du même suivi que les coureurs de l’équipe World Tour, du même matériel. Cette proximité nous permet, au delà de l’aspect purement sportif, d’apprendre à connaître les hommes. Depuis cette année nous avons même la possibilité de les intégrer à l’équipe world tour sur certaines courses, on a vu notamment le jeune Lars Van Den Berg de la conti finir 3ème de la dernière étape du Tour du Haut Var en haut du Mont Faron. C’est un vrai plus de valider la détection de jeunes talents sur le terrain.
  • On parle souvent du très haut niveau mais comment analysez-vous la pyramide actuelle qui consiste justement à amener un coureur jusqu’au très haut niveau ?
    C’est un sujet véritablement difficile, multifactoriel. Il y a l’évolution de la société d’une part, la sociologie du sport, la réglementation internationale et nationale, les structures amateurs qui reposent sur le bénévolat – cheville ouvrière de notre sport – et puis le haut niveau. Et on se rend compte que tout cela offre différentes possibilités d’atteindre le haut niveau. Il n’y a pas une méthode ou la bonne méthode pour atteindre le haut niveau, la clé en fait c’est le coureur qui l’a. Il lui faut les qualités physiques et psychologiques pour rejoindre puis réussir à haut niveau, le reste ne sont finalement que des outils qui servent à nourrir les différentes phases d’apprentissage, pour un jeune coureur l’avantage aujourd’hui de rejoindre une équipe comme la Groupama FDJ conti c’est que les jeunes ont à leur disposition l’expérience de l’équipe Groupama Fdj, les mêmes outils matériels et humains que l’équipe World Tour.
  • Le Tour de Bretagne Cycliste est devenu une référence pour les jeunes coureurs professionnels, comment analysez-vous cette reconnaissance ?
    Effectivement le Tour de Bretagne depuis des années est devenu un point de passage obligé pour passer pro. En tout cas réussir sur le Tour de Bretagne cela veut dire avoir les capacités pour faire une carrière chez les pros. Pourquoi ? Simplement parce que le Tour de Bretagne a cette faculté de choisir et réunir les meilleures équipes internationales de jeunes au départ et que cela assure une opposition de très haut niveau, le meilleur niveau international pour les espoirs. Des générations de coureurs qui ont fait une brillante carrière pro sont passées par les étapes difficiles et animées du Tour de Bretagne. Que faut-il pour y réussir ? Du caractère!
  • Quel conseil pourriez-vous donner à un jeune coureur qui souhaite gagner le Tour de Bretagne ?
    La première des choses est d’avoir passé un hiver studieux, d’avoir bossé et puis et surtout d’avoir de l’envie, d’avoir des C.., on ne gagne pas par hasard le Tour de Bretagne, c’est une course de guerriers.
  • Cette pandémie va inévitablement impacter certaines organisations avec un risque que des épreuves disparaissent à moyen terme impactant considérablement le calendrier. Comment voyez-vous le futur ?
    C’est la grande inconnue, un peu comme pour l’évolution de la pandémie. On peut imaginer comme pour l’industrie, le commerce ou l’artisanat, que les organisateurs aux structures et aux finances les plus fragiles, cela va souvent de paire, vont être en grande difficulté, voir même disparaître. Il va falloir être courageux, créatif, se démarquer pour pérenniser les clubs et les organisations.

Vous avez dirigé de nombreux coureurs dont Alberto Contador (meilleur jeune du Tour de Bretagne en 2002) quels souvenirs gardez-vous de cette période ?
Je n’aime pas trop parler des coureurs avec qui j’ai travaillé, c’est un peu notre histoire à nous, on n’écrit pas nos histoires de famille dans les journaux. Alberto reste pour moi un grand champion, extrêmement talentueux, je l’ai vu faire des truc de fou à l’entrainement, le plus dur c’était de le freiner, c’était un acharné de l’entrainement. Une anecdote ? En 2011 il était salement tombé à deux reprises dans les 10 premiers jours du Tour, quand je passais dans sa chambre le matin et le soir et que je voyais les hématomes qu’il avait partout sur les jambes, dans le dos, je me demandais comment il faisait pour pédaler, comment il allait pouvoir passer le premier massif montagneux, comment il faisait tout simplement pour prendre le départ, j’avais mal pour lui. Le sportif de très haut niveau c’est ca en fait, un physique exceptionnel, un mental inébranlable et une volonté de toujours se remettre en question pour être et rester le meilleur et gagner. Ceux qui le suivent sur les réseaux sociaux aujourd’hui se rendent compte à quel point il aime le vélo, il mange vélo, il dort vélo, il rêve vélo, il vit vélo.

Propos recueillis par Christophe Fossani et Yann Corollou / Crédit photo : Groupama-FDJ